Affaire Argana et Belliraj : toujours le même scénario

Attentat d’Argana : Même sort que l’affaire Belliraj ?

Adil Othmani, principal accusé dans l'attentat d'Argana à MarrakechShare
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Adil Othmani, condamné à mort pour l’attentat d’Argana annonce une grève de la faim quelques jours avant la grâce royale accordée au pédophile DanielGalvan. Par la suite, il prétend avoir subi des menaces de la part d’agents du renseignement qui lui ordonnent de cesser de clamer son innocence. Mais au 34ème jour de sa grève de la faim, il reçoit une délégation judiciaire qui lui promet de reconsidérer son dossier.

Selon un communiqué de la Commission commune pour la défense des détenus islamistes (CCDDI) et dont Lakome détient une copie, Adil Othmani, principal accusé dans l’attentat d’Argana déclare avoir suspendu sa grève de la faim qui a duré 34 jours, après avoir reçu "les promesses d’une délégation judiciaire qui lui a rendu visite à la prison locale de Safi pour la réouverture d’une enquête sur son dossier ". Dans ce communiqué, Adil Othmani affirme "qu’un membre de cette délégation a fait référence à l’affaire Belliraj dans laquelle plusieurs condamnés à de lourdes peines, dont des personnalités politiques avaient été graciés". 

La référence à l’affaire Belliraj n’est pas anodine. Celle ci représente une tâche noire sur la réputation des enquêteurs marocains. Lors du démantèlement de ce qui était présenté à l’époque comme un réseau de terroristes composé de malfrats et de dirigeants politiques islamistes, les autorités marocaines avaient paru sûres de leur fait. Sauf qu’une grande partie des condamnés dans cette affaire avaient été graciée au lendemain de l’avènement du printemps arabe et de sa version marocaine, le mouvement du 20 février. Cette grâce est intervenue aussi au lendemain de la publication d’un câble de l’ambassade des Etats-Unis indiquant clairement les doutes des partenaires américains sur le sérieux et la probité du travail des services marocains.  

Quelques semaines auparavant, Othmani lançait un cri de détresse depuis sa cellule accusant des éléments du renseignement marocain de le menacer pour qu’il cesse de publier ses communiqués à travers la presse. Othmani avait annoncé sa grève de la faim quelques jours avant que n’éclate le scandale du DanielGate où il explique que "des sommes d’argent" lui avait été "proposées pour reconnaître sa responsabilité dans l’attentat d’Argana", chose qu’il dit avoir refusé, selon un communiqué dont Lakome détient une copie.  

L’attentat d’Argana soulève un autre élément troublant puisqu’il s’est produit le 28 avril 2011, c'est-à-dire deux mois après le déclenchement du "printemps marocain" insufflé par le mouvement du 20 février. Al Qaida au maghreb islamique (AQMI) avait démenti dans un communiqué toute implication dans cet attentat et avait même laissé entendre qu’une telle opération allait "à l’encontre des intérêts de la conjoncture  et des peuples de la région !", ceci au moment où les autorités marocaines, à travers les médias officiels annonçaient des accointances entre les auteurs de l’attentat et l’organisation djihadiste du Sahel.

Ces éléments suscitent des interrogations quant à la culpabilité de l’accusé. Comment expliquer qu’une délégation officielle soit venue promettre à Othmani "une nouvelle enquête indépendante" sur son dossier si des doutes sérieux ne pesaient pas sur sa condamnation ? Parallèlement, comment expliquer la dualité du comportement de l’administration marocaine face à cette affaire: d’une part, une attitude menaçante des services de sécurité qui exhortent l’intéressé de cesser de clamer son innocence et d’autre part, une justice qui promet de reconsidérer l’affaire ? 

Contacté par Lakome, Hassan Batar, coordinateur du collectif de soutien aux accusés dans l’affaire Argana et dont le frère Abdessamad a été condamné à 4 ans en première instance, puis à 10 en appel, nous affirme "qu’aucune preuve matérielle n’a été présentée dans les différentes phrases du procès. Pas même un clou ! Sur les 54 noms de témoins figurant sur les procès verbaux de l’enquête, 15 seulement ont comparu devant le juge d’instruction et aucun devant le tribunal. La seule personne ayant témoigné devant la police attestant que Othmani lui avait acheté une perruque n’a pas été convoquée au procès comme le veut la procédure. Nous pensons que nos proches ont été victimes d’un procès inéquitable pour satisfaire les familles des 14 victimes françaises. Je rappelle que le ministre français des Affaires étrangères de l’époque était présent au Maroc le jour du verdict".

Le cas Othmani mérite attention car il se distingue des autres cas d’islamistes condamnés à mort dans des affaires de terrorisme. En effet, tous les islamistes ayant commis des meurtres ou des assassinats se vantent de leurs actes devant les tribunaux considérant avoir agi "par devoir religieux", chose qui dans ces milieux est interprétée comme un acte de bravoure et de témérité. C’est le cas notamment pour Youssef Fikri et ses comparses, condamnés pour plusieurs meurtres à motivation religieuse en 2002, et qui n’hésitent pas devant la Cour de déclarer qu’ils récidiveraient si c’était à refaire. Othmani ne semble pas faire un cas d’école puisque, non seulement les actes pour lesquels il a été condamné demandent une grande conviction de revendication mais l’intéressé rejette en bloc toutes les accusations qui pèsent sur lui et cherche à clamer son innocence par tous les moyens y compris en intentant à sa vie par de longues grèves de la faim.

Rappelons que l’attentat d’Argana perpétré à l’été 2011 dans un café de la place Jamaa El Fna dans la ville ocre avait fait 17 morts et 20 blessés de nationalités différentes. Othmani a plaidé non coupable durant toute les phases du procès ce qui n’a pas empêché la Cour de le condamner à la peine capitale.

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