Premier rassemblement à Bruxelles du Comité des familles des détenus européens au Maroc, par Luk Vervaet
A l'occasion de la Journée
mondiale des droits de l'homme, une soixante de membres de famille et
amis des détenus belgo-marocains dans les prisons marocaines, se
sont réunis autour du Monument à l'honneur de l'immigration
marocaine le 9 décembre à Bruxelles. Ils ont ainsi donné une toute autre
dimension à cette journée, hors des belles paroles et des
déclarations dont on a l'habitude.
Dans des témoignages
émouvants et avec des photos et banderoles, des soeurs, des mamans,
des grand-mères et des enfants des détenus ont attiré l'attention
des passants sur la situation dramatique de leurs proches dans les
prisons marocaines.
Elles ont dénoncé
l'attitude de la Belgique, qui refuse toute aide sous quelle forme
que ce soit, aux détenus et à leurs familles au nom de la « double
nationalité » belgo-marocaine. La Belgique s'est ainsi rendue
complice dans le mauvais traitement de ces détenus, allant jusqu'à
leur torture.
En français, en
néerlandais et en arabe, les familles ont annoncé qu'elles ne
lâcheraient pas la lutte tant que leurs proches ne soient pas bien
traîtés dans les prisons marocaines, tant qu'ils ne soient pas mis
sous la protection de la Belgique, tant qu'ils ne soient pas
transférés vers la Belgique s'ils le demandent, tant qu'ils ne
soient pas libérés au cas où ils ont été torturé.
A l'exemple des mamans des
enfants disparus en Belgique dans les années nonante, à l'exemple
des Mères en noir en Argentine à la recherche de leurs fils et
filles disparus et torturés, les familles se donneront rendez-vous
chaque premier dimanche du mois de 12 à 14 heures autour du Monument
La Pasionaria. Le prochain rendez-vous est fixé pour le dimanche 6
janvier 2013. Dans la crise économique actuelle, dans une situation
de surpopulation carcérale au Maroc et en Belgique, dans un climat
islamophobe... les familles se réalisent que leur combat sera des
plus difficiles. Mais malgré les difficultés, elles ont bien
l'intention de ne pas lâcher.
Pourquoi les familles
ont-elles choisi la date de la journée mondiale des droits de
l'homme pour démarrer leur action ?
D'abord, parce que la
déclaration des droits de l'homme, vieille de 64 ans, a formulé les
droits fondamentaux des personnes, suite à l'horreur de la deuxième
guerre mondiale et suite aux abus et aux atrocités commis par les
polices et les tribunaux des dictatures.
Les droits et les libertés
formulés dans la déclaration des droits de l'homme sont universels.
Ils passent avant toute autre considération. Ils ont été formulés
pour les personnes, qui ne disposent pas de ces droits, et ne pas
pour ceux qui en disposent déjà. C'est à dire, ils servent à
protéger les exclus de la société, les diabolisés, ceux qu'on a
rendu invisible, ceux à qui on a enlevé leur humanité, ceux qui,
aujourd'hui, sont inculpés ou condamnés en tant que « suspect
terroriste » ou « grand criminel ».
La déclaration des droits
de l'homme est un message clair à tous ceux qui appliquent la
sélectivité dans la défense des droits fondamentaux d'une
personne, et qui le font dépendre de sa nationalité, des faits
commis, de son idéologie ou de sa religion.
La déclaration des droits
de l'homme est la condition primordiale pour que tout détenu ait
droit à un procès équitable et juste.
Et deuxièmement, il y a
une règle fondamentale de protection qui sort de cette déclaration
des droits de l'homme.
Tous les aveux obtenus par
la maltraitance des inculpés ou sous la torture ne peuvent être
utilisés pour les juger. Quand l'état, ses fonctionnaires, sa
police violent les droits fondamentaux des personnes, il s'en suit
que toute poursuite judiciaire, tout procès et toute condamnation
doivent être annulés et les inculpés doivent être libérés.
Cette règle, qui peut même faire libérer des « vrais
coupables », nous protège précisément contre l'abus et
l'arbitraire au niveau de l'état ou de la police. Ces abus
deviendraient très vite systématique si on laissait de tels abus
sans conséquence radicale. Comme c'est la cas aujourd'hui au Maroc.
Où la torture et la maltraitance des détenus passent sans être
sanctionnés et font d'or et déjà déjà partie du système.
Les pratiques de la police
(secrète) ou la situation dans les prisons marocaines sont en
flagrante contradiction avec la déclaration des droits de l'homme.
La situation au sein des
prisons y est tout simplement infernale. Le système judiciaire
marocain est dans une crise totale. Un dernier exemple : au
lieu de 4000 détenus dans une prison à Casablanca, il y en a
maintenant pas moins de 16000 détenus. Il y a un taux de récidive
de presque 90%. Les responsables de cette politique s'en lavent les
mains. Tout le monde se renvoit la balle. Cette situation a, encore
une fois, été décrite en long et en large dans différents
rapports récents comme celui de Juan Mendez, rapporteur spécial de
l'ONU sur la torture, et dans le rapport du CNDH, organe des droits
de l'homme instauré par le Roi Mohamed VI lui-même.
La Belgique a
systématiquement nié cette situation et elle continue à le faire
jusqu'à aujourd'hui. Depuis des années les familles des détenus
belgo-marocains au Maroc doivent entendre de la bouche des
fonctionnaires de notre Ministère des affaires étrangères qu'ils
n'ont « jamais entendu parler de torture au Maroc ».
Depuis le premier mai 2011, elle renvoit comme si ne rien était,
sous la pression de l'extrême droite et pour plaire à l'opinion
publique, les quelques dizaines de détenus ayant la nationalité
marocaine contre leur gré vers l'enfer décrit dans les rapports
ci-mentionnés.
En donnant des dossiers
judiciaires aux autorités marocaines, en refusant toute aide ou
toute intervention en faveur des détenus belgo-marocains au Maroc,
la Belgique, tout en se vantant d'être un modèle des droits de
l'homme, a été complice à leur condamnation, à leur traitement
inhumain et dégradant et à la torture des détenus belgo-marocains
au Maroc. Elle rend l'impunité possible.
Voici les questions
auxquelles les familles veulent une réponse de la part du Ministère
des affaires étrangères et de la justice en Belgique :
Comment justifier qu'un
Belgo-Marocain ne peut pas jouir de la même assistance qu'un
Belgo-Belge ? Pourquoi nous refuse-t-on les visites consulaires dans
les prisons pour les membres de nos familles pour se vérifier de
leur état de santé physique et morale ? Visites, qui
pourraient apaiser les inquiétudes des familles qui sont loin de
leurs proches, qui aujourd'hui ne sont informées par personne, qui
ne savent pas à qui s'adresser dans un pays qu'ils ne connaissent
souvent pas.
Une intervention de la
Belgique ne pourrait-elle pas obliger le Maroc à prendre
obligatoirement les mesures nécessaires au niveau de la santé, de
l'hygiène, de la nourriture, de la surpopulation, ce qui pourrait
avoir un effet bénéfique pour tous les détenus ?
Pourquoi la Belgique
maintient-elle sa coopération judiciaire avec le Maroc ?
Comment la Belgique
justifie-t-elle qu'on enlève la nationalité belge à certains de
nos proches, ce qui les expose d'avantage aux abus de la part du
système judiciaire marocain ? Comment justifie-t-elle le
tranfert des prisonniers marocains en Belgique vers le Maroc ?
Pourquoi, contrairement aux tranferts des détenus marocains de la
Belgique vers le Maroc, les demandes de transfert de nos proches vers
la Belgique restent-elles lettre morte ?
L'abandon par l'Union européenne des citoyens, disposant de la double nationalité, est une
politique commune de tous les pays européens. Mais la Belgique
dépasse les autres pays. Pourquoi un détenu belgo-marocain n'a-t-il
pas droit à un avocat belge, comme c'est bien le cas pour les
détenus français-marocains, qui ont droit à un avocat français ?
Pourquoi les détenus belgo-marocains ne reçoivent-ils pas un
minimum de soutien financier de l'état, sans lequel il est
impossible de survivre dans ces prisons, comme cela se fait par
exemple par l'Espagne pour les détenus hispano-marocains ?
Le Comité des familles
des détenus européens au Maroc continuera sa lutte jusqu'à ce que
les familles reçoivent une réponse à ces questions, digne de la
Déclaration des droits de l'homme.
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